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Un seul statut pour une même prestation

Le salarié porté ne peut pas solliciter l’EPS pour exercer une même mission auprès du même client sous plusieurs statuts.

Un seul statut

La question

Pour la même prestation globale auprès de son entreprise cliente, le salarié porté peut-il :

  • solliciter de l’EPS qu’elle ne porte qu’une partie de la mission et facture à ce titre, notamment pour lui assurer le statut de salarié porté et les avantages qui s’y rapportent (protection sociale, assurance chômage, etc.) ;
  • et réaliser « en direct » le reste de la mission et facturer directement le solde par le biais de sa structure (autoentrepreneur, indépendant…) ?

Le principe : en théorie, rien n’empêche un individu d’intervenir auprès d’une entreprise cliente sous différents statuts

Le salarié recherche puis négocie lui-même avec ses clients l’exécution de prestations à réaliser en portage salarial : conditions d’exécution, prix, durée… 1

Le compte-rendu d’activité (CRA) établi périodiquement par le salarié porté et validé par l’entreprise cliente vaut en principe déclaration de la totalité de l’activité réalisée sous le régime du portage salarial. C’est sur la base de ces éléments communiqués par le salarié porté que l’EPS va émettre une facturation puis établir les bulletins de salaire 2.

Rien ne s’oppose donc en principe à ce que le salarié porté négocie avec l’une de ses entreprises clientes une intervention « limitée » sous le régime du portage salarial, le surplus étant assuré « en direct » par sa propre structure (ce dont l’EPS n’a d’ailleurs pas nécessairement connaissance, puisqu’elle agit de toute bonne foi sur la base du contrat commercial avec l’entreprise cliente et du CRA).

En pratique : un risque (très) élevé pour l’entreprise de portage salarial et/ou l’entreprise cliente

En pratique, il existe un risque très élevé de contentieux et de condamnation pour l’EPS et/ou l’entreprise cliente si une prestation similaire est effectuée par la même personne sous deux statuts différents :

  • Un risque prud’homal, au titre du travail dissimulé notamment, si le juge considère que rien ne permet objectivement de distinguer les modalités d’exécution de la prestation sous deux statuts déclarés distincts. Il en a été jugé ainsi s’agissant d’anciens salariés ayant pris le statut d’auto-entrepreneurs 3, en cas d’emploi irrégulier occasionnel 4, ou en cas de relation salariale déguisée : faux indépendant 5, faux gérant 6… L’EPS notamment s’expose à des condamnations prud’homales à ce titre : indemnités diverses si le faux indépendant sollicite la reconnaissance d’un contrat de travail au titre de la totalité de la prestation réalisée auprès de son entreprise cliente, rappel de salaires, versement d’une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé égale à 6 mois de salaires (quelle que soit la durée de la prestation de travail concernée) 7 ;
  • Un risque pénal : le travail dissimulé est un délit punit de peines pouvant atteindre 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (225 000 € pour les personnes morales) 8 ;
  • Un risque de solidarité financière, notamment s’agissant du paiement des impôts, taxes et cotisations qui n’auraient pas été acquitté par le « faux indépendant », ainsi que des majorations et pénalités dues par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale 9 ;
  • Un risque URSSAF : si une situation de travail dissimulée est reconnue, l’URSSAF pourra traiter comme des salaires les prestations réalisée et facturées « hors statut salarié », et procéder à un redressement de l’EPS de ce chef. L’URSSAF peut également annuler 10 toutes les mesures d’exonération ou de réduction des cotisations 11 ;
  • Un risque administratif 12 : les employeurs ayant fait l’objet d’un procès-verbal pour travail illégal peuvent se voir refuser, pour une durée maximale de 5 ans, le bénéfice des aides publiques ou la participation à des appels d’offre 13.

Deux cas particuliers

Un consultant qui a sa propre entreprise peut-il demander à une EPS de considérer que sa société serait, au sens des articles L.1254-1 et suivants du Code du travail, son « entreprise cliente » ?

Dans cette hypothèse, le salarié porté et l’entreprise cliente ne seraient en pratique qu’une seule et même personne, et l’existence de la relation triangulaire propre au portage pourrait être remise en cause.

L’EPS s’expose – outre les risques visés ci-dessus – au risque de voir l’existence même du portage remise en cause (le consultant pouvant par exemple demander la reconnaissance d’un CDI de droit commun, des condamnations pour travail dissimulé ou prêt de main d’œuvre illicite…).

En outre, la spécificité de l’opération (un consultant qui solliciterait une EPS pour exécuter une prestation pour lui-même à travers sa propre société) interrogera nécessairement l’URSSAF, voire le Parquet quant à sa finalité. Le risque que l’EPS soit le cas échéant poursuivie pour complicité de fraude (sociale, fiscale…) est très élevé.

Un salarié porté peut-il sous-traiter une partie de la prestation qu’il a négociée avec l’un de ses clients ?

Un tel recours à la sous-traitance ne pourrait qu’être à la marge / réduite / limitée. En effet, le principe même du portage tient au fait que le salarié porté est un expert en son domaine, qui négocie avec l’un de ses clients pour exécuter une prestation spécifique mobilisant par exemple une expertise que la société cliente ne possède pas en interne. Il y a donc un fort intuitu personae, et la mission du salarié porté ne peut pas aboutir à une gestion de sous-traitance en cascade (sauf à sortir du cadre légal du portage).

La bonne pratique

L’EPS doit éviter autant que possible l’emploi d’un salarié porté qui exécute une activité similaire pour une même entreprise cliente sous deux statuts qu’il déclare être distincts. Si elle a connaissance d’une telle situation, elle devrait mettre en demeure l’intéressé d’opter pour l’un ou l’autre des statuts, et tirer les conséquences qui s’imposent d’un refus de prendre position.

Sources

  1. Article L.1254-2 du Code du travail
  2. Avenant n° 4 du 17 septembre 2018 relatif au compte rendu d’activité
  3. Cass. crim., 15 décembre 2015 n° 14-85.638
  4. Cass. crim., 30 mai 1995 n° 94-82.372
  5. Cass. crim., 26 novembre 2019, RJS 2/20 n° 106
  6. Cass. crim. 21 septembre1999, n° 98-88.103
  7. Article L 8223-1 du Code du travail
  8. Articles L 8224-3 à L 8224-5 L 8234-2 L 8234-3 L 8243-2 L 8243-3 L 8256-3 à L 8256-8 du Code du travail
  9. Article L 8222-2 & 3 du Code du travail
  10. Articles L 133-4-2 L 133-4-5 L 242-1-1 L 244-11 R 133-8 du CSS & Circ. intermin. 15 mai 2009
  11. Cotisations de sécurité sociale, des cotisations dues au titre des régimes de retraite complémentaire légalement obligatoires et des contributions d’assurance chômage, Fnal et solidarité autonomie…
  12. Articles L 8272-1 D 8272-1 à D 8272-6 du Code du travail
  13. Le préfet peut également, si la proportion de salariés concernés le justifie, ordonner par décision motivée la fermeture temporaire de l’établissement pour une durée de 3 mois maximum et/ou l’exclusion des contrats administratifs pour une durée de 6 mois maximum.